⦁ Sept sur 15 activistes interpellés sous mandat de dépôt
⦁ Les risques liés au COVID-19 instrumentalisés pour restreindre l’espace civique
⦁ Il faut ouvrir une enquête indépendante sur les circonstances de la mort de trois personnes
Plusieurs organisations de la société civile ont exprimé aujourd’hui leur préoccupation concernant l’interpellation d’au moins 15 de leurs membres au Niger ainsi que la mise en détention et l’ouverture de poursuites judiciaires à l’encontre de sept d’entre eux.
Ces événements se déroulent dans le cadre d’un climat de plus en plus délétère pour la société civile au Niger où plusieurs graves atteintes aux libertés fondamentales ont été enregistrées au cours des dernières semaines.
Le 13 mars, un communiqué du conseil des ministres concernant des mesures prises pour lutter contre la propagation du COVID-19 a été rendu public, interdisant tout rassemblement d’au moins 1000 personnes.
Les forces de l’ordre ont par ailleurs utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser le rassemblement. Selon de nombreuses sources, les tirs de gaz seraient à l’origine d’un incendie sur le toit du marché de Tagabati engendrant la mort d’au moins trois personnes.
Les organisateurs de la société civile
Le 15 mars, un rassemblement a été organisé à Niamey la capitale, pour dénoncer un détournement de fonds publics pour l’achat de matériel d’armement destiné à lutter contre le terrorisme. Les organisateurs avaient déclaré ce rassemblement avant la publication du communiqué du conseil des ministres et n’avaient par la suite pas reçu de notification d’arrêté d’interdiction et, avaient par conséquent, décidé de maintenir le rassemblement malgré l’interdiction. Ce même jour, très tôt dans la matinée, les forces de sécurité ont bloqué toutes les voies menant à la Place de la concertation à Niamey, lieu prévu pour le rassemblement.
Les forces de l’ordre ont par ailleurs utilisé des gaz lacrymogènes pour disperser le rassemblement. Selon de nombreuses sources, les tirs de gaz seraient à l’origine d’un incendie sur le toit du marché de Tagabati engendrant la mort d’au moins trois personnes.
Entre les 15 et 17 mars, au moins 15 personnes ont été interpellées et détenues dans les locaux de la police judiciaire pour « participation à une manifestation interdite et complicité d’incendie volontaire ». Plusieurs de ces activistes avaient déjà été arrêtés en 2018 dans le cadre d’une vague d’arrestations liées aux protestations contre la loi de finances de 2018.
À ce jour, Moudi Moussa, Mounkaila Halidou, Moussa Tchangari, Habibou Soumaila, Sani Chekaraou et Maïkoul Zodi sont toujours placés sous mandat de dépôt. Ils ont été transférés dans différentes prisons, certaines situées à plus de 100 km de la ville de Niamey et dans des zones placées en état d’urgence. Ils sont poursuivis pour « d’organisation d’une manifestation interdite et complicité de destructions des biens publics, incendies volontaires et homicides involontaires », à l’exception de Sani Chekaraou qui est poursuivi pour « voie de fait sur les autorités du grand marché ».
Les jours précédents la manifestation, plusieurs journalistes avaient été ciblés: convoqués par la police ou arrêtés après s’être exprimés ou avoir conduit des entretiens liés à la question de la pandémie du COVID-19. L’un d’entre eux, Mamane Kaka Touda, journaliste et défenseur des droits humains, est toujours détenu, accusé de « diffusion de données pouvant troubler l’ordre public » simplement pour avoir informé de l’existence d’un cas suspect.
Le 20 mars, après avoir signalé un premier cas de COVID-19, les autorités nigériennes ont suspendu toutes les visites aux détenus pendant une période d’au moins trois mois et toutes les audiences judiciaires, jusqu’au 25 mars.
Bien que les restrictions aux visites en personne ou aux contacts des personnes en détention peuvent être légitimes pour prévenir la pandémie de COVID-19, ces restrictions doivent être proportionnées à l’objectif de prévention-ou de réponse à- une pandémie.
Les organisations signataires soulignent :
1. Leurs préoccupations face à la montée croissante de la répression de la société civile au Niger et l’instrumentalisation des risques liés à la pandémie du COVID-19 pour asphyxier l’espace civique en ligne et hors ligne – notamment les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique, d’association, et de participation politique garantis par les obligations internationales et par la Constitution du Niger ;
2. Que si des mesures d’exception sont permises pour faire face à des questions sanitaires, elles doivent respecter les strictes conditions de nécessité, de proportionnalité de légalité, et de non-discrimination en vertu des normes internationales établies en la matière, en particulier les articles 4, 9, 10, 14, 19, 21, 22 et 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par le Niger en 1986.
En particulier, les déclarations d’urgence justifiées par la pandémie du COVID-19 ne doivent pas servir de couverture à une action disproportionnée et répressive de la part des autorités, comme le souligne un récent communiqué des Rapporteurs spéciaux des Nations Unies :
⦁ Ces mesures ne peuvent en aucun cas servir à harceler judiciairement les défenseurs des droits humains, notamment à la possible fabrication de charges d’accusation ;
⦁ Bien que les restrictions aux visites en personne ou aux contacts des personnes en détention peuvent être légitimes pour prévenir la pandémie de COVID-19, ces restrictions doivent être proportionnées à l’objectif de prévention-ou de réponse à- une pandémie. Les visites de détenus doivent être remplacées par des moyens et des opportunités de contacter le monde extérieur, par exemple par téléphone, e-mails ou appels vidéo.
⦁ Les services de justice doivent pouvoir assurer un service minimum afin de garantir la continuité des procédures judiciaires et l’état de droit, dans le respect du droit à un procès équitable.
3. Le Niger vient de rejoindre l’Initiative pour la Transparence dans les Industries Extractives (ITIE), qui impose au pays de mettre en œuvre des exigences claires en termes de libertés fondamentales, en vertu du 3. Protocole de la société civile. Les autorités nigériennes se doivent donc de respecter leurs engagements dans ce cadre.
Les organisations signataires appellent les autorités du Niger à :
⦁ Mettre un terme à toute pratique de harcèlement contre les membres de la société civile sous justification de sécurité sanitaire.
⦁ Se conformer aux normes internationales en vigueur relatives aux conditions dérogatoires d’exception permises, notamment par le Pacte international sur les droits civils et politiques, la Déclaration universelle des droits de l’Homme et les instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par le Niger.
⦁ Mener une enquête indépendante et impartiale dans le cadre des faits enregistrés lors de la manifestation du 15 mars, notamment ceux ayant conduit au décès d’au moins trois personnes – identifier les auteurs et les présenter devant un tribunal civil, dans le respect du droit à un procès équitable.
⦁ Garantir le respect des droits des détenus, notamment leurs droits à des conditions d’hygiène et d’alimentation adéquates, l’accès aux soins et l’accès au monde extérieur à travers les communications avec leurs avocats, familles et proches ;
Les organisations signataires appellent les organisations suivantes :
⦁ Le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies à exhorter les autorités du Niger à mettre en œuvre les demandes ci-dessus mentionnées;
⦁ Le Secrétariat international de l’ITIE à entrer en contact avec les autorités du Niger et de s’assurer que le gouvernement suive les recommandations susmentionnées, afin de remplir les exigences du Protocole de la société civile. Si ces exigences ne sont pas respectées, le Secrétariat de l’ITIE devrait envisager la remise en cause de l’acceptation de la candidature du Niger.
SIGNATAIRES
1. Publiez ce que vous Payez (PCQVP),
2. Tournons la Page Niger (TLP),
3. Amnesty International
4. Agir Ensemble pour les Droits de l’Homme (AEDH)
5. CCFD -Terre Solidaire
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A PROPOS DES SEPT DETENUS
1. M. Moudi Moussa, coordonnateur National de Tournons La Page (TLP), Président Mouvement des jeunes Républicains (MJR), organisation membre de Publiez ce que vous Payez (PCQVP) Niger
2. M. Mounkaila Halidou, secrétaire général du Syndicat National des Agents Contractuels et fonctionnaires de l’éducation de base (SYNACEB) et Membre du Réseau des Organisations pour la Transparence et l’Analyse Budgétaire (ROTAB), organisation membre de PCQVP Niger, ancien Président du Comité d’administration de PCQVP Niger
3. Maikoul Zodi, coordonnateur National de Tournons la Page, President de MJR, organisation membre de PCQVP Niger
4. Moussa Tchangari, secretaire general d’Alternative espace citoyen (AEC)
5. Sani Chekaraou, président de Syndicat des Commerçants importateurs et exportateurs du Niger
6. Mamane Kaka Touda, journaliste et défenseur des droits humains, Coordinateur Programme “Jeunesse” de l’ONG « Alternative Espaces Citoyens »
7. Habibou Soumaila, chargé de communication du bureau régional TLP-Niamey.
https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/03/niger-societe-civile-demandent-un-terme/