Le Niger est considéré comme l’un des pays les plus pauvres du monde, malgré la richesse de son sous-sol. Le pays est producteur d’uranium, d’or, de pétrole, etc. La loi nigérienne concède une partie des redevances et autres impots issus de l’exploitation de ses richesse aux communes qui abritent ces mines dont la majorité est exploitée par des firmes internationales.
Mais il y a un écart considérable entre ce que reçoivent réellement ces collectivités pour financer leur développement et ce qui devrait leur revenir. Un problème dû non pas à un refus de paiement des compagnies exploitatrices des richesses du pays mais à un “détournement de l’État central” pour d’autres causes. CENOZO et … ont enquêté sur le sujet pendant 7 mois.
Au Niger, l’exploitation des ressources naturelles est en grande partie assurée par des sociétés multinationales. Dans la région d’Agadez, ce sont la Société des Mines de l’Aïr (SOMAIR, 1971), la Compagnie Minière d’Akouta (COMINAK, 1978) et la Société des Mines d’Azelik (SOMINA, 2012) qui exploitent l’uranium. L’or est exploité dans la région de Tillabéry par la Société des Mines de Liptako (SML, 2004). S’agissant du pétrole brut, il est exploité par la China National Petroleum Corporation (CNPC, 2011) dans la région de Diffa et raffiné à Zinder par la Société de raffinage de Zinder (SORAZ).
Les revenus tirés de ces exploitations sont censés contribuer à l’économie nationale et particulièrement au développement à la base. C’est ainsi que l’État a prévu, dans les Codes minier et pétrolier, des mesures réglementaires pour ce qui est des finances allouées aux collectivités territoriales. Le législateur a consacré une rétrocession de 15% des redevances et autres impôts spécifiquement minier et pétrolier à ces entités.
Cependant, depuis 2014, l’État central n’arrive pas à rétrocéder la part intégrale de ces redevances aux bénéficiaires. En effet, la course abusive au contrôle et à la gestion des revenus issus des industries extractives pose le problème entre, d’une part, l’État et les multinationales et, d’autre part, entre les collectivités territoriales et l’État. Cette situation a engendré une non-application effective des lois en la matière. D’où l’opacité dans l’exploitation et la gestion de ces ressources. Pourtant, ces redevances sont régulièrement programmées dans les budgets de l’État votés par l’Assemblée nationale.
Quelles sont les raisons du blocage ? Quel en est son impact sur le fonctionnement des collectivités territoriales concernées ? Quelles sont les conséquences sur le financement des secteurs sociaux de base ? Comment les autorités locales parviennent-elles à faire face à la situation ?
Ce que disent les textes
Le Niger s’est engagé depuis 2005 dans le processus de la décentralisation qui est comme : « un transfert d’attributions de l’État à des collectivités ou institutions différentes de lui et bénéficiant, sous sa surveillance, d’une certaine autonomie de gestion » (Document cadre de politique nationale de décentralisation au Niger, 2011, p 13).
Dans la droite ligne de ce processus et tenant compte des spécificités des communes concernées par l’exploitation des ressources minières et pétrolières qui doivent être soutenues dans leurs actions de développement local, l’État du Niger a initié et adopté une loi qui consacre 15% des redevances tirées de ces exploitations aux communes directement concernées par l’exploitation minière et pétrolière.
Selon l’article 152 de la Constitution, « les recettes réalisées sur les ressources naturelles et du sous-sol sont réparties entre le budget de l’État et les budgets des collectivités territoriales conformément à la loi ». La Constitution précise également à son article 149 que cette gestion doit se faire dans la transparence : « L’exploitation et la gestion des ressources naturelles et du sous-sol doit se faire dans la transparence et prendre en compte la protection de l’environnement, du patrimoine culturel ainsi que la préservation des intérêts des générations présentes et futures ».
Plus précis, l’article 95 (nouveau) de la loi minière 2006/06 du 9 août 2006 dispose que « les recettes minières constituées par la redevance minière, la redevance superficiaire, les droits fixes, le produit de la taxe d’exploitation artisanale et le produit de la vente des cartes d’artisans miniers, déduction faite des ristournes concédées aux agents du Ministère chargé des mines, sont réparties comme suit : 85% pour le budget national ; 15% pour le budget des communes de la région concernée pour le financement du développement local (…) ».
S’agissant de l’exploitation et du raffinage du pétrole brut, l’article 34 de la loi 2014-11 du 1er avril 2014 réglementant le raffinage, l’importation, l’exportation, le stockage, le transport massif, la distribution et la commercialisation des hydrocarbures et des produits dérivés prescrit que « les recettes provenant des activités du raffinage constituées par la taxe intérieure sur les produits pétroliers, perçues par l’État dans le cadre du raffinage sont réparties comme suit : 85% pour le budget national; 15% pour le budget des collectivités territoriales de la région concernée par les activités de raffinage pour le financement du développement local (….) ».
Une violation des textes et un non-apurement des arriérés
Malgré cet arsenal juridique qui encadre la répartition des revenus issus de l’exploitation minière et pétrolière, les communes qui abritent les richesses du sous-sol nigérien continuent d’accumuler les arriérés. « C’est un manque de volonté politique qui explique l’accumulation des arriérés par ces communes », s’insurge le chargé de projets du Réseau des Organisations pour la Transparence et l’Analyse Budgétaire (ROTAB), Illiassou Boubacar.
Depuis 2007, explique-t-il, « ces compagnies versent chaque année à l’État la part de cette redevance. Mais les communes continuent d’accumuler des arriérés de rétrocessions, si bien qu’au niveau de notre structure, nous avons écrit aux autorités pour demander les raisons de ce non-paiement ».
Pour justifier cet état de fait, « l’État du Niger a évoqué la situation sécuritaire qui prévaut dans le pays où la majeure partie des ressources mobilisées sont affectées dans la lutte contre le terrorisme ». Or, selon Illiassou Boubacar, « même pour mener cette lutte, il est nécessaire d’investir dans ces localités, surtout au niveau des secteurs sociaux de base. Cela pourrait éviter que les jeunes soient enrôlés par les terroristes ».
Cette position du ROTAB est soutenue par le Coordinateur régional pour Zinder du Mouvement pour la Promotion d’une Citoyenneté Responsable (MPCR), Saddat Illia Dan Mallam. « Il y a une loi qui encadre la gestion de ces ressources et nous sommes dans un État de droit ; cela veut dire qu’on est en train de violer les droits de ces régions », assène-t-il. En principe, explique Saddat Illia, « la redevance consiste à atténuer les effets négatifs qui sont produits par cette activité d’exploitation de ces ressources et cela pourrait permettre de mener des actions de résilience pour ces populations qui sont directement concernées par ces impacts ».
Malheureusement, déplore le Coordinateur régional du MPCR-Zinder, c’est toujours l’opacité qui entoure la gestion de ces ressources. Pendant ces années, explique-t-il, « Zinder a bénéficié de quelques 850 millions de FCFA. Cette opacité profite plus aux autorités qui sont chargées d’encadrer et de contrôler le respect de la légalité des textes prévues en la matière. Il n’y a pas assez d’investissement profitable à la population locale ».
S’agissant du manque à gagner pour les communes concernées, une étude de référence sur les revenus miniers et pétroliers au Niger, effectuée par le ROTAB et publiée en 2019, a relevé que de 2015 à 2018, « la Direction générale des impôts a recouvré la somme de 44 275 726 223 FCFA au titre des redevances minières, mais seulement 2 186 972 782 FCFA ont été effectivement rétrocédés aux communes concernées. Au lieu de 6 641 358 933 FCFA qui constituent les 15% des montants recouvrés, soit un taux effectif de 0, 4 % du montant global et une moins-value de 42 088 753 441 francs ». Pour la région d’Agadez, en 2018, le montant prévu est de 7 174 205 310 FCFA, mais seulement, « 2 141 315 494 ont été versés avec un arriéré d’ordre de 5 501 929 921 FCFA ».
Pour la redevance pétrolière ad valorem au titre des années 2015, 2016, 2017 et 2018, la Direction générale des Impôts a recouvré 10 222 760 904 FCFA, mais « 1 160 889 996 a été versé en 2018 à la région de Diffa, soit un moins-perçu de 9 061 870 908 FCFA ». Pour le cas de la région de Zinder, du début du raffinage en 2012 à 2019, l’étude du ROTAB a indiqué que « de 2012 à 2018, la Direction générale des Impôts a mobilisé 92 312 263 556 FCFA et le taux de cette redevance s’élève à 13 846 839 533 FCFA ».
Les élus locaux montrent l’État du doigt
Le paiement de ces redevances est une aubaine pour les collectivités, une source de promotion du développement à la base. Ces arriérés constituent un manque à gagner dans la réalisation d’infrastructures socio-économiques telles que les écoles, les centres de santé, les points d’eau ou de structures de protection de l’environnement et du patrimoine culturel.
La difficile question du non-paiement des redevance minière et pétrolière aux collectivités territoriales a toujours été une préoccupation pour l’association des élus du Niger qui ne cesse d’interpeller le gouvernement central quant à la nécessité de purger les arriérés. « La question des paiements de redevance est très complexe », affirme le maire d’Arlit, Abdourahamane Maouli. Selon lui, « le blocage se trouve au niveau du trésor public qui ne verse pas à temps aux collectivités leur part de 15% ». A titre illustratif, explique-t-il, « pour ces années, on peut estimer ces arriérés d’Arlit à environ 12 milliards de FCFA. Pour la seule commune d’Arlit, soutient-il, « nous avons reçu les dernières redevances en mai dernier, mais la somme ne dépasse pas 30 millions de FCFA. Le montant a été fractionné et ce n’est pas la globalité ».
Depuis un certain temps, ajoute-t-il, « les redevances ne tombent plus. C’est juste de petites sommes que nous gagnons, souvent qui ne correspondent pas aux redevances, contrairement à ce que les gens pensent en disant que les collectivités détournent ces redevances ».
Même réaction au niveau du président du Conseil régional de Zinder, Moutari Ousmane. Zinder en tant que région de raffinage a droit à certaines taxes, telles que la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Elle a été consentie en 2014 après la modification de la loi sur le Code minier et pétrolier. « Mais c’est seulement à partir de cette année 2020 que la région a commencé à percevoir. Et c’est pour l’année 2014. Le montant versé est d’environ 850 millions de FCFA, donc à peu près la moitié. Cela veut dire qu’une partie de l’année 2014 est payée. Nous attendons celles des années 2015, 2016, 2017, 2018 et 2019 qui n’ont pas encore été versées ».
Globalement, selon le président du Conseil régional de Zinder, la région accumule six années d’arriérés de cette redevance pétrolière. « A notre niveau, le montant estimé est à plus de 30 milliards de FCFA. Et je vous assure que ces sociétés paient, mais le blocage se trouve au niveau de l’État qui n’arrive pas à solder à temps. Nous sommes dans une situation où il y a un compte unique de trésor. Tout est perçu à son niveau, une fois versé, l’Etat donne la priorité à ses dépenses, et c’est à lui de voir à qui il va donner. Généralement, ils évoquent la situation de l’insécurité qui affecte les autres secteurs pour ne pas nous solder », affirme-t-il.
Qu’en est-il des investissements au niveau des collectivités ?
Au Niger, le secteur des industries extractives constitue l’un des principaux facteurs de croissance économique sur lequel repose le développement économique et social du pays. En effet, la contribution de ce secteur au développement surtout à la base est importante. Ainsi, la part des redevances minières et pétrolières allouée à ces collectivités est destinée aux investissements.
« Au niveau du Conseil régional de Zinder, il y a un budget et un plan de dépense. Dans ce plan, il est prévu de faire des investissements surtout au niveau des secteurs de l’éducation, de la santé, de l’eau, entre autres. Malheureusement, le non-paiement de ces redevances à temps retarde la mise en œuvre de notre plan de dépense. C’est maintenant avec la somme perçue que nous allons construire des salles de classes, clôturer le centre de santé mère et enfant de Zinder, construire dix (10) puits à Tesker et Timmiya entre autres », a affirmé Moutari Ousmane.
« Il suffit que l’Etat central arrive à rétrocéder à temps les redevances pour voir ce que nous allons réaliser au profit des populations », assure-t-il. « A Arlit, il suffit juste de faire un tour dans la ville, aux centres de santé intégré, aux inspections par exemple, vous verrez des plaques visibles sur lesquelles est inscrit Fonds Redevance. Puisque c’est destiné à ces investissements » a ajouté le maire Abdourahamane Maouli de cette localité.
« Allez-y voir le ministre en personne ! »
Au Niger, la gestion des ressources naturelles doit se faire dans la transparence totale. Du reste, c’est ce qu’a prévu la loi fondamentale en son article 149 qui énonce que : « l’exploitation et la gestion des ressources naturelles et du sous-sol doit se faire dans la transparence et prendre en compte la protection de l’environnement (…) ». Et cette transparence implique aussi la communication sur le fonctionnement du processus de rétrocession des redevances aux communes.
Et bien que le pays dispose d’une Ordonnance n° 2011-22 du 23 février 201 portant charte d’accès à l’information publique et aux documents administratifs, qui en son article 5 précise que « l’accès à l’information publique est garanti et égal pour tous les usagers sans aucune discrimination », les responsables des services compétents en charge de cette question, à savoir la Direction Générale des Impôts (DGI) et l’Agence Nationale pour le Financement des Collectivités territoriales (ANFICT), n’ont pas voulu mettre à notre disposition les informations sollicitées dans le cadre de cette enquête. « Monsieur le journaliste, allez-y voir le ministre en personne. Vous voulez avoir des informations, non ? Personne ici ne peut prendre le risque de vous dire quoi que ce soit », nous a martelé un responsable du service des impôts.
Le discours a été le même au niveau de ANFICT : « La directrice générale est absente, dépose juste le courrier au secrétariat et tu reviens la semaine prochaine ». Les jours suivants, son intérimaire nous lancera ceci à plusieurs reprises : « C’est vrai que j’assure l’intérim, mais de préférence laisse à l’arrivée de la directrice et on te donnera la suite ».
Durant ces 8 mois de recherche dans le cadre de cette enquête, nos multiples démarches n’ont pas permis d’avoir des réactions des services concernés. Une volonté manifeste de rétention d’information contraire à la loi.
Par Oumar Brah Souleymane