Niger, le coronavirus alibi d’une répression générale

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Pour le président Mahamedou Issoufou sous pression de la société civile, le Covid-19 est une opportunité inespérée pour réprimer, sous prétexte de lutte contre le fléau, les voix dissidentes.

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C’est Amnesty International qui l’a écrit, hier, en demandant la libération de 7 activistes en droits humains parmi les plus connus du pays : « seule bouffée d’oxygène, aussi inespérée que porteuse de drames : le Covid-19 a permis in extremis aux autorités nigériennes d’interdire tous les rassemblements. Le Niger est ainsi à son tour confiné. En surchauffe. »

Un scandale de détournement étouffé

Alors qu’un scandale monstre de détournements des fonds destinés à l’armée a éclaté en février au ministère de la Défense, placé aussitôt sous le couvercle de mesures administratives d’enquête à la discrétion du pouvoir, les sept personnalités emprisonnées avaient appelé à une marche, le 15 mars dernier. Elles réclamaient, avec les organisations syndicales de magistrats et d’avocats, la saisie de la Justice pour poursuivre les auteurs des détournements, chiffrés à une centaine de milliards de francs CFA, et leurs complices, nichés au plus haut niveau de l’Etat.

Depuis des mois, voire des années, le gouvernement et les autorités municipales interdisent la plupart des manifestations sous prétexte de lutte contre le terrorisme et d’insécurité. Cette fois, c’est le Coronavirus qui a motivé l’interdiction décrétée le 13 mars en conseil des ministres, pour tous les rassemblements d’au moins 1000 personnes. De justesse, puisque l’opposition avait appelé également à la marche, qui promettait d’être très suivie. Le scandale du détournement a en effet suscité une indignation sans précédent dans l’opinion publique et beaucoup de familles sont endeuillées par les attaques djihadistes qui se sont multipliées ces derniers mois.

Répression toute !

L’interdiction de la marche régulièrement déclarée n’ayant pas été notifiée aux organisations, le rassemblement avait été maintenu. Mais très tôt dans la matinée du 15, la capitale était  bouclée par les forces de l’ordre. Un incendie sur le toit du marché de Tagabati, provoqué, selon les témoignages, par les tirs de lacrymogènes, a fait au moins 3 morts.

Dans la foulée, 15 personnes étaient interpellées et placées en garde-à-vue pour « participation à une manifestation interdite et complicité d’incendie volontaire. »  La plupart avaient déjà été incarcérées de longs mois en 2018 dans le cadre d’une vague de protestations contre la loi de finances.

Parti s’assurer de leurs conditions de garde-à-vue, dans le cadre de son mandat indépendant, le président de la Commission nationale des droits de l’Homme a été chassé des locaux de la police judiciaire par un coup de fil du directeur général de la police. Une protestation de l’institution contre cette « engrave grave » à l’accomplissement de sa mission s’en est ensuivie, naturellement.

À ce jour, Moudi Moussa, Mounkaila Halidou, Moussa Tchangari, Habibou Soumaila, Sani Chekaraou et Maïkoul Zodi sont détenus dans différentes prisons parfois situées loin de Niamey et dans des zones placées en état d’urgence. Comme le leader de l’opposition Hama Amadou qui purge une peine d’un an d’emprisonnement à la prison de Filingué.

Mauvaise foi judiciaire

Ces personnes font l’objet de poursuites pour « organisation d’une manifestation interdite, complicité de destructions des biens publics, incendies volontaires et homicides involontaires » et Sani Chekaraou, le président du Syndicat National des Commerçants, pour « voie de fait sur les autorités du grand marché », tandis que les prédateurs de l’armée circulent toujours en toute liberté.

Pas touche au coronavirus

Avant le 15 mars, plusieurs journalistes avaient été déjà convoqués par la police pour s’être exprimé sur la pandémie du Covid-19 dont ils craignaient l’arrivée au Niger.

L’un d’eux, Mamane Kaka Touda, lanceur d’alerte et journaliste, a été envoyé en prison le 5 mars dans l’attente de son procès pour « diffusion de données pouvant troubler l’ordre public », un délit prévu par la loi de 2019  contre la cybercriminalité et passible de trois ans d’emprisonnement. La veille, il avait publié un post sur les media sociaux faisant état d’un cas suspect dans un hôpital de la capitale.

Après deux renvois de son procès pour cause de coronavirus, il a été condamné le 26 mars à 3 mois de prison avec sursis. Angela Quintal, la coordinatrice Afrique du Committee to Protect Journalists, avait estimé que « Kaka Touda Goni et tous les journalistes du Niger doivent être libérés pour couvrir l’épidémie du Covid-19 sans craindre d’être jetés en prison. Les autorités ne doivent pas confondre la censure et la détention d’un journaliste avec les mesures de protection de la sécurité du public dans le cadre de leur réponse au coronavirus. »

La loi bafouée

L’emprisonnement au Niger se double de restrictions exceptionnelles pour cause de coronavirus, annoncées le 20 mars par le ministre de la Justice : suppression de toutes les visites pour trois mois, suspension des audiences publiques jusqu’au 25 mars et «limitation aux situations d’extrême nécessité du recours à la garde à vue et à la détention », y compris  en matière de terrorisme.

Mais manifestement pas pour les militants des droits humains.

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